Amours de jeunesse : le romantisme n’est pas mort

L’amour romantique n’appartient peut-être pas à une époque révolue. En témoigne le boom du « crush » et de la « new romance ». Le crush, c’est l’amour secret (confié seulement à ses amis). C’est un amour idéalisé car fantasmé. La new romance, elle, connaît d’impressionnants succès de librairie. Ses autrices y décortiquent avec une certaine finesse toute la panoplie des sentiments amoureux : passion brûlante, désir charnel, jalousie, tendresse, attente, chagrin et tous les émois des élans romantiques.

L’amour romantique est-il en voie de disparition ? Non si on s’en réfère aux enquêtes sociologiques menées sur la vie amoureuse des jeunes gens ou sur le boom de la « new romance » qui connaît un succès retentissant en librairie ou sur des réseaux sociaux. L’expression de ces sentiments est surtout le fait des jeunes filles et bien moins des garçons, moins enclins à livrer leurs sentiments.

Isabelle Clair, sociologue de son état, a publié en 2023 Les Choses sérieuses. Enquête sur les amours adolescentes. Ses enquêtes de terrain, qui s’étalent sur plus de quinze ans l’ont menée sur des terrains très différents : jeunes des cités de la région parisienne, villages de la Sarthe, jeunes bourgeois des quartiers chics de Paris.

Si la sociologue constate des différences importantes selon les milieux et les époques, une constante demeure : la norme de « couple » reste quelque chose d’important pour les jeunes. Nouer une relation amoureuse s’inscrit dans une dynamique en trois temps : la rencontre, la conjugalité, la rupture (éventuelle). Ce schéma reste très conventionnel et valorisé : le « polyamour » ou la sexualité débridée restent des phénomènes très marginaux. Dans l’ensemble, les jeunes continuent d’entretenir des relations amoureuses où les sentiments jouent un rôle déterminant.

L’étude de Christine Détrez sur le crush1 confirme ce constat : l’amour idéalisé n’est pas mort. Un crush dans le dialecte « jeune » désigne la personne pour laquelle on « craque » (en anglais « crush »). Le crush peut être un ami proche qu’on fréquente tous les jours mais à qui on n’a pas osé avouer ses sentiments. Parfois, il peut être déjà en couple ou l’ex de sa meilleure amie, ce qui complique la situation. Le crush donne lieu à des confidences et épanchements entre amies (car ce sont essentiellement des filles qui échangent entre elles sur leurs crushes) où l’amoureuse livre ses sentiments.

 

Le boom de la new romance

La new romance se décline en livres, en série télévisées, en magazine, en manga, se retrouve sur Tik tok, instragarm, You tube posé par des millions de fans.

Les succès phénoménaux des livres de new romance témoignent aussi de l’attention que les jeunes filles et jeunes femmes accordent au sentiment amoureux. Les ventes des livres de new romance, qu’on appelait « littérature à l’eau de rose », boostent aujourd’hui les ventes des libraires (7 % du chiffre d’affaires des libraires en 2023). Vous n’avez peut-être jamais entendu parler des écrivaines françaises Mélissa Da Costa ou Morgane Moncomble. Leurs noms n’ont aucune chance de figurer dans les suppléments littéraires des journaux ou de recevoir un prix littéraire. Pourtant, leurs ventes dépassent celles d’Amélie Nothomb, Sylvain Tesson, David Foenkinos, Guillaume Musso ou Marc Lévy. La new romance vient des pays anglo-saxons. Ce courant de littérature sentimentale s’inscrit dans le prolongement des anciennes collections telles que « Harlequin » qui ont fait rêver des millions de lectrices des générations précédentes.

Qu’y a-t-il de changé dans les relations amoureuses depuis L’Éducation sentimentale ou Le Rouge et le Noir ? Bien sûr les relations entre garçons et filles ont profondément changé, les lieux de rencontre, les normes du couple ne sont plus les mêmes, mais il n’est pas sûr que la gamme des sentiments par laquelle passent les relations amoureuses – coup de foudre, passion silencieuse, désir charnel, tendresse, jalousie, chagrin, élans romantiques – soit si différente chez les jeunes que ce qu’elle fut chez leurs aînés.

New romance : j’ai lu pour vous Hadès et Perséphone

L’humanologue ne recule devant rien pour explorer certaines terres inconnues. Fi des préjugés ! Hier, je me suis rendu en librairie au rayon « Romance » afin de m’informer sur cette « littérature sentimentale » qui connaît un succès phénoménal2.
Le genre est né aux États-Unis et s’exporte bien en Europe avec quelques autrices phares (Colleen Hoover, Sarah Rivens, Scarlett St. Clair…). En France, le genre est représenté par, entre autres, Melissa Da Costa dont les titres Les Douleurs fantômes et Tout le bleu du ciel ont été les 7e et 9 livres les plus vendus en France en 2023.
Les auteurs sont exclusivement des femmes. Leurs lecteurs aussi d’ailleurs. Pour l’essentiel des jeunes femmes de 15 à 40 ans.
J’ai finalement jeté mon dévolu sur Hadès et Perséphone, une trilogie de Scarlett St. Clair.
Toute l’intrigue se noue autour de personnages actuels mais qui sont aussi des réincarnations des dieux de l’Olympe (c’est l’occasion de réviser sa mythologie !).
Perséphone, la déesse grecque de la fertilité, est ici une jeune étudiante en journalisme. Hadès, le dieu des enfers, est incarné par un patron de boîte de nuit. Son jeu favori : faire des paris diaboliques avec des mortels.
La mère de Perséphone, la déesse Démeter femme de Zeus, met en garde sa fille contre les mauvaises rencontres. Mais Perséphone a 20 ans et veut voler de ses propres ailes. Elle rêve de découvrir la vie, sortir avec ses amies, rencontrer l’amour…
Et ce qui devait arriver arriva : Perséphone tombe amoureuse du beau et séducteur Hadès, qui lui-même tombe sous le charme de la jeune femme.
Dans le mythe grec, Perséphone se marie avec Hadès et rejoint les enfers. Sa mère Déméter réclame à Zeus qu’elle revienne vivre auprès d’elle. D’autant que les plantes ne peuvent plus pousser tant que la jeune déesse de la fertilité reste dans les entrailles de la Terre. Dans le mythe, un compromis sera trouvé : Perséphone reviendra auprès de sa mère une partie de l’année, quand les plantes repoussent. Puis elle rejoindra son mari le reste de l’année.
Je ne vais pas vous spoiler la reprise contemporaine. D’autant que, pour être honnête, je n’ai lu que quelques chapitres et risque d’en rester là. Mais tous les émois amoureux – désir, coup de foudre, attraction réciproque, rêverie sentimentale, jalousie, chagrin… – sont présents.
On objectera que tout cela n’est que fiction et ne concerne pas la réalité. Mais le succès de la romance suppose de toucher des cordes sensibles. Pour s’intéresser à ces personnages de fiction, à leurs sentiments, leurs tourments, leurs émois, il faut les ressentir et les éprouver.

  1. Christine Détrez, Crush. Fragments du nouveau discours amoureux, Flammarion, 2024, étude qui repose sur des entretiens avec des jeunes de 13 à 25 ans. []
  2. Voir Audrey Vermorel, « Pourquoi la “new romance” fait exploser les ventes en librairie ? », Dernières nouvelles d’Alsace, 14 mai 2024. []

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