Les Indiens Ojibwas qui vivaient naguère dans la région des Grands Lacs (sud du Canada) étaient organisés en clans dont chacun portait un nom d’animal : le clan de l’ours, de la grue, du saumon, etc. L’animal totem (représenté sur les armes ou en peinture corporelle) était par ailleurs considéré comme une divinité protectrice. Entre les membres d’un même clan, de forts liens de solidarité étaient noués. Le totémisme est devenu un thème de prédilection chez les anthropologues au début du 20e siècle qui voyait en lui le vestige de la toute première religion. Un exemple typique de totémisme est celui des Aborigènes australiens. Chaque tribu, comme celles des Walpiri ou des Arunta, est divisée en deux, quatre ou huit clans. Entre les clans se nouent des alliances : les membres du clan du kangourou par exemple devaient trouver un conjoint dans le clan des crocodiles (et inversement). À certaines périodes de l’année, de grands rassemblements festifs offraient à chaque clan de s’illustrer par ses danses et des peintures corporelles spécifiques souvent associées à l’animal totem.
Années 1930: critiques et déconstruction
Mais dès les années 1930, l’idée d’une «religion totémique » a commencé à faire l’objet de critiques. Franz Boas (1858-1942) a d’abord fait remarquer que chez les Indiens d’Amérique, les Iroquois par exemple, il n’y a pas de correspondance entre l’animal totem et l’existence d’un culte à son égard (pas plus que les Français n’ont jamais voué de culte au coq gaulois). Adolphus P. Elkin (1891-1979) a montré de son côté, à partir du cas des Aborigènes et des peuples des îles du Pacifique que le totem pouvait définir aussi bien un clan ou un territoire qu’un esprit personnel (chaque individu pouvant avoir son totem spécifique). Finalement, la plupart des grands anthropologues de l’époque (Robert Lowie, Alfred Radclie-Brown ou Edward Evans-Pritchard) finirent par rejeter la notion. Claude Lévi-Strauss donna le coup de grâce en 1962 dans Le Totémisme aujourd’hui. L’anthropologue y reprenait les critiques de ses prédécesseurs en récusant toute assimilation entre l’animal totem et un culte religieux. Pour lui, les symboles (noms d’animaux ou de plantes) n’étaient qu’une façon pour un clan de s’identifier les uns par rapport aux autres, comme des équipes sportives aiment à s’associer à une mascotte ou une entreprise à un logo.
Le retour en grâce du totémisme
Récemment, la notion de totémisme a retrouvé une certaine vitalité avec Philippe Descola (dans Par-delà nature et culture, 2005) ou Alain Testart (Art et religion, de Chauvet à Lascaux, 2016). Pour ces deux chercheurs, le totémisme reste une vision du monde propre à certains peuples qui attribuent une âme à un animal. Selon Alain Testart, les animaux peints dans les grottes de la préhistoire arment l’appropriation d’un territoire par un clan: la répartition des espèces animales sur les parois refléterait des marquages claniques. Autrement dit: l’art préhistorique a une nature totémique.
(1) « Histoire d’une illusion scientifique. Le totem et l’ethnologue », Sciences Humaines n° 127, mai 2002.