Un vieux monsieur à grande barbe qui vient du ciel et récompense les enfants sages : cela ne vous fait penser à rien ? L’analogie entre le père Noël et le dieu chrétien est assez limpide. Le père Noël trouve d’ailleurs son origine dans une légende chrétienne : celle de Saint-Nicolas.
Nicolas est un évêque chrétien qui a vécu en Turquie au 4esiècle de notre ère. Très généreux avec les enfants pauvres, il fut assez tôt béatifié et rebaptisé Saint-Nicolas, un des saints les plus populaires de la tradition chrétienne. Le culte des saints s’est propagé dans l’Église au début du Moyen Âge. Les cultes païens (la déesse mère, les dieux locaux) ont été remplacés par la nouvelle religion impériale et des cultures plus catholiques. La Vierge Marie prit la place des déesses mères et les saints se substituèrent aux multiples divinités locales associées à une ville, une corporation de métiers ou un génie guérisseur.
La fête de Saint-Nicolas était célébrée traditionnellement début décembre dans les pays du nord de l’Europe. Saint-Nicolas était représenté avec une barbe, une cape rouge et voyageant sur un âne. Bien que dans les pays protestants le culte des saints ait été banni, Saint-Nicolas est resté très ancré dans les traditions populaires des pays du Nord. En hollandais, son nom Sinter Klas est devenu Santa Claus, une fois importé par les migrants hollandais aux États-Unis.
C’est là qu’il va connaître sa mutation en père Noël. Le pasteur et écrivain Clément Moore a repris le récit de Saint-Nicolas en un conte profane. Dans La Nuit avant Noël (1821), Santa Claus apparaît pour la première fois sur un traîneau tiré par les rennes. Deux ans plus tard, dans « la visite de Saint-Nicolas », l’auteur fait intervenir des lutins qui aident le père Noël à faire passer les cadeaux par la cheminée. Ces contes connaissent une grande popularité et chaque année, la presse les reprend. En 1863, le dessinateur Thomas Nast, chargé d’illustrer le conte, donne alors au père Noël l’image qu’on lui connaît : un vieillard débonnaire, dodu, avec sa barbe blanche et sa cape rouge. L’illustrateur dessine le traîneau et les rennes chargés de cadeaux venant du grand Nord par la voie des airs. Dans les années 1930, Coca-Cola s’approprie son image dont les couleurs, rouge et blanc, sont celles de sa marque. Vous connaissez la suite…
Revenons aux sources religieuses du mythe et du rite.
La première analogie entre le père Noël et dieu le père tient évidemment dans le rôle de divinité tutélaire, qui vit au ciel et qui, le jour venu, récompense ceux qui ont été bien sages. Autrefois Saint-Nicolas ne se contentait pas de distribuer des récompenses, il était associé à un « Père Fouettard », sorte de double maléfique du père Noël, qui l’accompagnait dans sa tournée. Il était chargé de punir les enfants qui n’avaient pas été sages !
Les joujoux et confiseries qu’on distribuait aux enfants font bien sûr songer au rôle bienfaisant des divinités protectrices. Cette distribution de biens s’accompagne, dans la tradition de Noël, d’une petite offrande en retour. Le soir du réveillon, il est d’usage de laisser une part de gâteau et un verre de vin. Cela ressemble beaucoup à la « part des dieux » des banquets sacrés païens. Une part de la nourriture était soustraite du repas pour être offerte aux Dieux. Ce qui ne l’empêchait pas d’être mangée ou bue en cachette par ceux chargés du rituel.
Un secret bien gardé…
Mais puisqu’il est question de cachoterie, abordons un autre thème commun entre le père Noël et certaines religions archaïques : le thème du « secret dévoilé ».
Dans plusieurs religions premières d’Afrique, d’Amérique ou d’Océanie, lors des rituels religieux (rites agraires, rites d’initiation, rites funéraires) des personnages masqués et déguisés représentant les esprits font leur apparition.
Ce sont les hommes du village qui portent les masques et les vêtements et se font passer pour les esprits. Les petits sont très impressionnés par ces apparitions d’êtres étranges venus de l’au-delà. Leurs aînés ainsi que les femmes qui assistent au spectacle, ne sont pas dupes, mais il faut faire comme si on ne le savait pas.
Quand un garçon grandit, vient le moment où il est initié. Il perd alors son statut d’enfant et entre dans le monde des « grands ». Durant le rite d’initiation, un secret lui est alors dévoilé. Ce secret n’a rien d’extraordinaire : il consiste parfois à révéler le nom d’une divinité tutélaire ou à raconter un mythe de création. Parfois, on se contente de lui donner un nouveau nom qu’il doit garder secret (comme les pseudonymes des sociétés secrètes). Chez les Aborigènes, on révèle au nouvel initié ce secret de polichinelle : les esprits masqués sont les hommes du village déguisés ! Bientôt quand il aura franchi toutes les étapes, le garçon devenu homme et père pourra à son tour porter le masque. Mais en attendant : « silence ! ». Il ne faut rien dire aux petits… Révéler ce secret serait commettre un sacrilège, briser la magie qui entoure tout ce cérémonial. Cela revient à désenchanter le rituel sur lequel repose l’ordre du monde.
Des rituels d’initiation et leur « secret révélé » on en trouve en Australie chez les Aborigènes[1], chez les Amérindiens[2], en Nouvelle-Guinée[3]. En Afrique, chez les Bwiti, on dit qu’il faut «garder sa feuille sur la langue » pour signifier qu’il faut garder le silence[4]. Dans un article de 1952, Claude Levi-Strauss propose une comparaison entre le père Noël et les récits initiatiques des Indiens du Sud-Ouest des États-Unis.
Pour résumer, que nous raconte l’histoire du père Noël ?
Que les rites religieux initiatiques reposent sur une duperie organisée. La supercherie porte sur l’existence d’esprits venus d’en haut qui viennent régulièrement récompenser ou punir les enfants. Qu’il est important d’être sage si on veut plaire aux dieux et recevoir leurs cadeaux. Qu’il faut leur faire quelques offrandes en retour. L’arrivée du père Noël a été déplacé du début décembre à la fin du mois pour la faire coïncider avec la fête du solstice d’hiver (fête païenne sur laquelle l’Église a également greffé la date de naissance de Jésus). Dans l’Europe traditionnelle, les rites de fin d’année se déroulaient sur plusieurs semaines. Vers la fin de l’année, il était d’usage de décorer une branche de gui ou de sapin (survivance druidique) que l’on accrochait à l’entrée de la maison. Cette branche était ornée de bonbons ou de bibelots qu’on offrait aux enfants.
C’est de cet amalgame de rites ancestraux et de campagne de marketing bien menée, de croyance aux esprits et aux rites agraires, de rites d’initiation et de leçon de morale qu’est né le père Noël. Cela nous dit bien des choses sur la façon de confectionner les rites.
Mais chut ! Cela doit rester secret…
[1] Voir « Aborigènes, un secret dévoilé » L’Humanologue n°1.
[2] Voir « Quand le soleil a pris le pouvoir sur la lune », L’Humanologue 4.
[3] Maurice Godelier, La Production des grands hommes, 1982.
[4] Julien Bonhomme, « La feuille sur la langue. Pragmatique du secret initiatique. » Cahiers gabonais d’anthropologie, 2006, en ligne.
« Le père Noël est d’abord l’expression d’un statut différent entre les petits enfants d’une part, les adolescents et les adultes de l’autre. À cet égard, il se rattache à un vaste ensemble de croyances et de pratiques que les ethnologues ont étudiées dans la plupart des sociétés, à savoir les rites de passage et d’initiation. Il y a peu de groupements humains, en effet, où, sous une forme ou sous une autre, les enfants (parfois aussi les femmes) ne soient exclus de la société des hommes par l’ignorance de certains mystères ou la croyance – soigneusement entretenue – en quelque illusion que les adultes se réservent de dévoiler au moment opportun, consacrant ainsi l’agrégation des jeunes générations à la leur. Parfois, ces rites ressemblent de façon surprenante à ceux que nous examinons en ce moment. Comment, par exemple, ne pas être frappé de l’analogie qui existe entre le Père Noël et les katchina des Indiens du Sud-Ouest des États-Unis ? Ces personnages costumés et masqués incarnent des dieux et des ancêtres ; ils reviennent périodiquement visiter leur village pour y danser, et pour punir ou récompenser les enfants, car on s’arrange pour que ceux-ci ne reconnaissent pas leurs parents ou familiers sous le déguisement traditionnel. Le Père Noël appartient certainement à la même famille, avec d’autres comparses maintenant rejetés à l’arrière-plan : Croquemitaine, Père Fouettard, etc. (…)
Il est bien certain que rites et mythes d’initiation ont, dans les sociétés humaines, une fonction pratique : ils aident les aînés à maintenir leurs cadets dans l’ordre et l’obéissance. »
(“Le Père Noël supplicié”. Article publié dans Les Temps Modernes. N°77, 1952)